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« Il ne faut pas vendre les Jeux paralympiques comme une solution miracle, mais comme une manière d’expérimenter »

Au-delà des performances sportives, les Jeux paralympiques de Paris 2024 (du 28 août au 8 septembre) portent l’ambition de sensibiliser et mobiliser sur les enjeux de politiques publiques en matière de prise en compte du handicap. Pour Sylvain Ferez, directeur de l’unité de recherche Santé, éducation, situations de handicap à l’université de Montpellier et spécialiste de l’accès aux pratiques sportives des personnes handicapées, les Jeux « pourraient avoir un effet levier ». « Mais il faudrait pour cela que la suite soit déjà préparée », relève-t-il, déplorant un manque d’investissement « sur l’héritage ».
Cela s’est fait par strates. Les premiers Jeux paralympiques se sont déroulés aux mêmes endroits que les Jeux olympiques, à Rome en 1960, puis à Tokyo, en 1964. Mais rapidement, les villes hôtes ont trouvé trop compliqué d’accueillir les deux événements, jugeant la logistique trop lourde. Entre 1964 et 1988, les Jeux paralympiques ont été organisés à part, principalement dans des casernes ou des centres de rééducation.
La bascule va se réaliser à la fin des années 1980, au moment où la question de l’héritage monte en puissance et où le Comité international paralympique est créé. Les Jeux de Los Angeles, en 1984, ont coûté très cher et les Etats se montrent plus réticents à accueillir la grand-messe mondiale. Le Comité international olympique va, dès lors, s’attacher à démontrer qu’il ne faut pas seulement regarder l’ardoise, mais aussi prendre en considération les externalités positives des Jeux : le développement du sport en général, la promotion des valeurs de mixité, d’inclusion, de développement durable. Après Séoul, en 1988, le comité paralympique impose que les villes hôtes accueillent les deux événements. Puis, peu à peu, à ce que les comités d’organisation soient fondus.
Dans les années 1990, l’inclusion reste centrée sur les personnes à mobilité réduite puisque ce sont essentiellement ces athlètes qui participent aux Jeux. L’arrivée de l’audiodescription dans les stades sera beaucoup plus tardive. Il faut attendre les années 2000 pour que les déficients sensoriels − aveugles et sourds − soient davantage considérés. Quant à la déficience intellectuelle, elle reste encore aujourd’hui très peu prise en compte.
L’attention est essentiellement portée sur l’accessibilité des infrastructures sportives. Ce qui ne présage en rien de l’accès aux hôtels, aux restaurants ou à l’aéroport… Le souci porté aux transports ne date que de Londres, en 2012 ! La chaîne d’accessibilité est très compliquée à assurer pour toutes les personnes, et en même temps, pendant l’événement. Les Jeux deviennent à la fois le théâtre de petits aménagements et un temps d’identification des problèmes.
A Paris, il y a une accélération de la dynamique et une volonté d’autant plus forte d’être irréprochable en matière d’accessibilité. Les enceintes sportives intègrent des services d’audiodescription, des casques basse vision pour malvoyants, des tablettes tactiles, des guichets d’accueil dédiés… Beaucoup d’efforts sont portés sur le numérique. Cela résout des problèmes pour certains types de déficiences, mais cela peut aussi conduire à des exclusions, comme pour les déficients intellectuels, pour qui c’est un monde complexe.
Je trouve que c’est intéressant que les sites de compétition soient temporaires, dans une perspective de durabilité et d’accessibilité. Il y a une sorte d’intelligence collective qui en découle. Les infrastructures ont été bien pensées et pourront être remontées ailleurs sur le territoire à l’avenir. La question étant de savoir si ces terrains bénéficieront toujours des éléments d’accessibilité qui ont été mis en place une fois remontés, ou si cela était limité aux Jeux.
Ces derniers pourraient avoir un effet levier, mais il faudrait pour cela que la suite soit déjà préparée. Or, on a investi 20 millions d’euros dans la recherche sur le très haut niveau mais zéro sur l’héritage. On a mis de l’argent pour faire des clubs para accueillants, pour faire des infrastructures, mais rien sur le monitoring et le suivi des politiques publiques.
Quand les Jeux seront passés, la dynamique va-t-elle se poursuivre ? A Londres, en 2012, il y avait eu un sursaut de la pratique des personnes ayant des déficiences l’année des Jeux et celle suivante. Mais ensuite, les chiffres étaient revenus à un niveau de pratique inférieur à ce qu’il existait avant les Jeux.
On s’est vite aperçu qu’il serait impossible de rendre le métro accessible, donc on s’est concentré sur les lignes 11 et 14. On promet souvent plus que ce que l’on ne peut, parce que l’on veut accueillir l’événement, et parce que l’on n’est pas lucide sur la réalité des politiques publiques. La France est en retard, c’est un fait.
Mais ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes d’accessibilité que les Jeux n’auront pas été bons. Le sport, comme le reste de la société, a des problèmes de soutenabilité, d’inclusion, de violences. Il ne faut pas vendre les Jeux comme une solution miracle mais comme une manière d’expérimenter, de résoudre certains problèmes et de regarder les autres avec lucidité.
Louise Le Borgne
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